Dessiner l'incertain

 

C'est un périple au coeur de la matière noire auquel Abdelkader Benchamma invite le spectateur dans son exposition L'Horizon des événements, au Centquatre à Paris.

En astrophysique, l'horizon des événements est la frontière imaginaire entre notre vision scientifique du monde et cet espace, ou non espace, qu'est le trou noir d'où aucune lumière ne s'échappe, ni savoir, ni vérité.

C'est face à cette frontière que Benchamma nous emmène; de là, il nous pousse à voir au delà du monde observable. Dans ce périple, pas de voie toute tracée, ni de marquage au sol, le spectateur déambule à travers des toiles dans lesquelles se déploient des étendues abstraites en mouvement. Son travail avec l'encre nous donne à voir des formes en noir et blanc, flux de pleins et de creux, de matière et de vide. Pourtant dans ce travail de l'abstraction, le spectateur retrouve parfois des formes connues : traces de nuages, forêts, planètes, qui sont dessinées avec la même précision qu'une gravure du XVIIIème de Fragonard. Ces restes de notre réalité tangible se perdent vite dans l'ensemble de la toile qui ne forme plus qu'un ensemble de formes incertaines.

 

On ne sait pas ce qu'on voit. Toute oeuvre de Benchamma peut être lue comme un test de Rorschach, série de taches sur planches face auxquelles le spectateur peut apporter sa propre interprétation.

Le dispositif de l'exposition est lui-même insaisissable, les œuvres sont exposées sur de gigantesques installations aux bords non définis, craqués, incertains. Les toiles elles-mêmes sont pour la plupart de simples feuilles, qui se décollent parfois du mur. C'est la sacralité même de l’oeuvre d'art et de cet espace qu'est le lieu d'exposition que l'artiste déconstruit. Loin des conventions d'exposition traditionnelle, il nous déstabilise et nous emmène en territoire inconnu.

La pièce emblématique de cette exposition est sans doute, l'installation Intercession, (réalisée in situ) pièce entièrement recouverte de formes noires du sol au plafond. Dans cet espace sombre, le spectateur est pris d'un vertige, sa notion d'espace-temps est complètement déformée. C'est dans cette confrontation entre la peur du vide, du rien, de la matière pure et l'attraction du gouffre que la porte de l'imagination s'ouvre. Le spectateur en déroute ne peut alors plus se raccrocher à son univers connu.

Dans l'exposition d'Abdelaker Benchamma, aucun monde n'est stable et défini, nous regardons en face l'inconnu, l'incertitude et le fluctuant, la raison ne peut donc pas saisir cet univers, l'imagination révèle alors tout son potentiel. Ce travail est le résultat de collectes obsessionnels de l'artiste de faits divers surnaturels ou énigmatiques qui l'amène à baser son art sur la mise en doute d'un monde seulement scientifique qui nous serait donné. L'artiste encourage alors notre perception et notre imagination à tous les possibles.

Dans ce monde que nous donne à voir Benchamma, une seule certitude : Les sceptiques ne seront jamais confondus.

 
 

Emmanuelle Potiquet